Leur cri






Il y a ceux qui crient ceux qui appellent
sans remuer les lèvres terrassés et debout
marchant terrassés et debout sur le trottoir illimité des villes
ceux qui crient au secours ceux dont la bouche s'est creusée
d'un trou sans fond d'où sort le cri
le cri éraillé le cri avec des fils de bave entre les lèvres
ceux qui vivent dans le tombeau vivant du cri
le cri et qui entend le cri

Les rues vomissent les autos les bruits et les images
sans comprendre
surtout sans ce désir jamais de comprendre
les portes se referment sur la fraîcheur des appartements
autour du plat que l'on partage à table dans le mutisme
et sur l'écran les satisfaits gesticulent privés du son de leur parole
avant d'assouvir le torrent de sottises dans le bruit de paroles
parler désormais dans ce monde
c'est imposer plus de bruit sans entendre sans écouter
seul avec l'horreur de soi et l'horreur dans la nuit

Pourtant on berce au fond de soi un oiseau de silence
on berce au fond de soi un chant sans syllabes
une lumière comme une lampe sans flamme une langue sans mots
un regard qui désire d'autres regards
on sait son visage inaccompli sans la présence d'autres visages
on sait on sait cela que l'on oublie : on le découvre
est-ce l'espoir alors quand on se dresse dans le vent et la fougue
l'espoir quand on entend au fond de soi germer les mots d'une parole
parole vraie confuse petite lumière
quand la main trouve sa voie vers d'autres mains devant
quand les yeux construisent dans le silence une beauté de regards


Philippe Delaveau, Une salve d'avenir. L'espoir, anthologie poétique